La téléconsultation et les nouvelles dispositions concernant son organisation dans les Pharmacies

Réflexion suite à la possibilité de téléconsultation (TC) en officine suite à la publication de l’avenant 15 de l’article 54 de la LFSS 2018 dans le cadre de la convention nationale du 4 avril 2012 organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officines et l’Assurance Maladie.

Suite à la lecture des nouvelles décisions réglementaires, on se retrouve devant une construction compliquée venant de la gouvernance, peut être pas vraiment articulé avec la réalité du terrain.  Avec toujours le même fantasme qui consiste à créer de nouvelles dispositions supposées pallier l’insuffisance des effectifs des professionnels de santé (les spécialistes de soins primaires mais aussi dans certains déserts médicaux les Pharmaciens).

Je crois que dans leur inconscient les pouvoirs publics et les différentes tutelles ont intégré qu’elles étaient incapables d’agir favorablement sur le manque de médecins de soins primaires, donc elles n’en parlent jamais sérieusement. (Lire le problème du Numérus clausus https://bit.ly/2Tuzxeb )

Il y a alors une fuite en avant en donnant aux NTIC un pouvoir magique d’une part, et en stigmatisant les professionnels en place d’autre part, en les accusant de tous les maux si cela ne fonctionne pas « c’est qu’ils ne veulent pas s’organiser pour le bien public et s’installer dans les zones sous dotés… »

Voila les composants de la nouvelle usine à gaz énumérés dans les nouvelles dispositions :

-Les centres de santé et maisons pluriprofessionnelles de santé (MSP), (Ils manquent déjà de médecins et rien n’indique à cause de cela qu’ils pourront monter en puissance)

-les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) !

-les équipes de soins primaires ou toute organisation territoriale se proposant d’organiser une réponse en télémédecine !

-les commissions paritaires locales (CPL) ou régionales médicales (CPR) saisies pour valider l’organisation proposée !

-les plateformes territoriales d’appui (PTA)

Sans parler des problèmes d’organisation dont l’exigence pour le pharmacien d’organiser cette TC sous sa responsabilité…

Voilà mes réflexions ;

  Le maillage du territoire national par les officines souffre tout de même de la fermeture des cabinets médicaux, et de la raréfaction du nombre de médecins installés (en sous nombre dans beaucoup de centres de santé et de MSP).  Pour corollaire on observe donc actuellement plutôt des fermetures de Pharmacie dans des déserts médicaux.

Il n’est donc pas sûr que le dispositif présenté par cette nouvelle réglementation repose sur un socle solidement pérenne (l’Officine).

La clef du problème est qu’il y a donc une densité médicale (Médecins de soins primaires) sous laquelle il ne faut pas descendre. Le risque serait alors grand d’un écroulement de tout le système, et sur le plan pratique d’une dégradation de notre système de soins touchant en premier les plus vulnérables économiquement et géographiquement.

On ne pourra pas laisser seules les IDE, aides-soignants, kiné… dans les territoires désertés par les médecins et parfois par les pharmaciens.

Les pouvoirs publics ont failli dans cette mission de prévoir un nombre suffisant de médecins de soins primaires alors qu’ils avaient fait réaliser des études qui auraient dû leur permettre de réagir en temps et en heures (Le ministère de l’emploi (la DREES) ayant publié en février 2002 les projections de la densité médicale passant de 329 pour 100000 habitants à 250 en 2020…)

Les pouvoirs publics sont toujours dans l’erreur aujourd’hui, ils pensent que les NTIC et les nouvelles organisations comme celle de l’installation de la TC dans les officines suffiront à pallier le manque de généraliste.

Certes la téléconsultation depuis la pharmacie est une excellente idée.  En effet de plus en plus de patients se déplacent à la pharmacie pour avoir un avis et un traitement le plus souvent pour des pathologies bénignes. Mais ils le font le plus souvent parce que leur médecin traitant est de moins en moins disponible.  Il y a naturellement une place pour qu’une réponse adaptée leur soit donnée lorsqu’il « consulte » à la pharmacie mais s’il faut un avis médical par TC, c’est le serpent qui se mord la queue.

Ou alors il faut avoir l’honnêteté de parler d’automédication médié ou favorisé par le Pharmacien.

Certes le pharmacien est l’expert du médicament mais pas des indications (voir en cette saison le nombre de spécialités pharmaceutiques préconisées par les publicités à la télévision et proposées à la pharmacie sans ordonnance pour traiter les affections ORL « bénignes » ! c’est un excellent exemple de surconsommation de produits souvent très actifs dans de très mauvaises indications. Lire Comment gérer une épidémie de rhume en intégrant IA et TC.   

Le conflit d’intérêt est évident pour le pharmacien auquel le public vient demander conseils… Cela devrait être étudié en réalisant des études sur ce type d’automédication détournée.

Or l’automédication reposant sur une véritable éducation des patients, et relayé par des médias sérieux et des associations de patients est une excellente chose. Cela est un autre très vaste sujet.

Par ailleurs il ne faut pas favoriser le déplacement du public vers l’officine mais plutôt favoriser la téléconsultation depuis le domicile du patient. Il faut donc favoriser l’utilisation des NTIC à domicile et donc supprimer les zones blanches et équiper en smartphone les derniers foyers qui en sont dépourvus. L’intérêt est que le patient consulte si possible son médecin habituel, et comme à mon sens il faut intégrer la TC à la pratique quotidienne du cabinet médical il faut que les tutelles investissent massivement dans la formation des médecins et l’équipement des cabinets médicaux pour la TC.

A peu de choses près la téléconsultation peut ressembler à une consultation en tête à tête, il suffit d’une bonne transmission du son et de l’image et d’une petite préparation du professionnel de santé mettant en confiance son patient. Dans mon expérience il y a même un avantage de la TC sur la CS notamment lors de la présence d’un aidant, d’une aide-soignante, voire d’une IDE auprès du patient à domicile. Il y a un véritable échange sur bon nombre de problématiques comme par exemple le suivi d’une plaie chronique, d’une maladie chronique…  Le patient à domicile peut aussi s’adresser à une plateforme de TC fonctionnant soit dans le cadre du parcours de soins classique ou soit dans le cadre d’un service émanant d’une assurance d’une mutuelle, d’un employeur ou d’une autre collectivité, ces plateformes fleurissent un peu partout actuellement, elles auront une place importante dans un avenir proche.

La téléconsultation à l’officine restant une possibilité supplémentaire très intéressante pour le patient qui ne pourrait pas facilement s’intégrer dans l’une des situations précédentes.

J’insiste donc sur le fait qu’il ne faudrait pas institutionnaliser un système qui créé une couche supplémentaire schématisé par

-Le déplacement du patient à l’officine, l’utilisation d’un local de TC, avec la mobilisation du pharmacien qui porte la responsabilité de la téléconsultation.

-L’appel et la mobilisation d’un médecin à distance qui réalise la TC, qui prescrit ou réoriente le patient soit à son cabinet soit dans une structure plus lourde.

Concernant les patients les plus âgés et ou handicapés il me parait encore plus intéressant de favoriser la téléconsultation depuis le domicile et ne pas imposer un déplacement qui ne serait pas justifié par ailleurs. Je pense également aux personnes en EHPAD, là aussi l’intervention des aidants et des professionnels de santé (IDE) doit être favorisée.

La conclusion est qu’il n’y a pas un seul dispositif de santé connectée qui pourra maintenir à flot notre système de soins primaires, mais une addition de très nombreux dispositifs. Et il ne faut pas faire l’impasse sur la réflexion concernant le rôle des médecins généralistes dont l’activité doit effectivement évoluée et se concentrer sur le diagnostic et la coordination des soins, mais ils doivent rester en nombre suffisant.

La critique principale de ces nouvelles dispositions avec téléconsultation à l’officine dont j’approuve par ailleurs le concept, est la mobilisation effective d’un acteur supplémentaire, le Pharmacien, qui va peut-être manquer. Et la nécessité de recourir tout de même à un médecin (au cours de la téléconsultation) alors que justement le patient s’adresse à l’officine en partie parce que son médecin est peu accessible.

Enfin à ce jour les médecins généralistes ne sont absolument pas prêts sur le plan technique et culturel à intégrer la téléconsultation dans leur pratique quotidienne. C’est aussi sur ce volant qu’il faut agir avec détermination rapidement et massivement.

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