Plaidoyer pour la synergie entre médecine et sciences fondamentales.

Cette collaboration est nécessaire pour réaliser le virage numérique du secteur médical, voilà qui est intelligent et bien naturel !

Pour cela, il faut intégrer dans le secteur médical certains principes déjà utilisés dans les trois secteurs économiques, y compris très largement dans le secteur tertiaire auquel les services à la personne appartiennent. Je pense à l’utilisation de techniques équivalentes des « consumer relationship management », et autres utilisations sophistiquées des datas, des techniques de chatbot et de blockchain…

Il faut bien dire que le secteur médical est un sous-secteur du tertiaire bien particulier. Il semble plus imperméable aux évolutions culturelles qui impactent la société dans son ensemble.

Il y a un côté paradoxal entre l’évolution rapide du savoir médical et le caractère très conservateur des médecins sur le plan sociologique.

En effet l’excellence médicale peut être exprimée par la demi-vie de la connaissance médicale (durée d’obsolescence de la moitié d’une revue de question majeure dans une discipline médicale). Elle ne cesse de se réduire et est passée sous la barre des 5 ans et demi (Réf 1-3)

Les médecins ont donc pour la grande majorité d’entre eux l’habitude de se tenir en permanence à l’écoute des progrès, la formation professionnelle continue est d’ailleurs plutôt bien organisée (validation des formations par l’ANDPC, rôle des OPCA pour les salariés, Réf 4). L’encadrement de cette formation post-universitaire semble faire des progrès même si beaucoup est laissé au libre arbitre des professionnels de santé. L’accréditation des médecins qui appartiennent à des spécialités à risques (Réf 5) est encouragée mais n’est pas obligatoire. La démarche du Développement Professionnel Continu (DPC) est obligatoire mais à ma connaissance, il n’y a pas de contrôle significatif.

Malgré ces remarques, il est visible que les professionnels de santé ont acquis depuis leur parcours d’étudiant cette culture d’une permanente remise en question du savoir.

Mais si cela est vrai pour ce qui intéresse le cœur de leur activité médicale, ce n’est plus du tout la même chose pour ce qui a trait à l’organisation de la profession et à la communication.

Les professionnels de santé et les médecins en particulier n’adoptent que très lentement, et souvent sous la contrainte, les nouvelles techniques de fonctionnement.

15% des médecins libéraux d’Ile de France n’étaient toujours pas informatisés dans les années 2000. Au début des années 2010, ils étaient peu nombreux à dématérialiser les feuilles de soins et aujourd’hui la dématérialisation des ordonnances n’en est qu’à ses balbutiements…

Encore aujourd’hui une aide financière est proposée aux médecins pour ;

– La tenue du dossier médical informatisé avec saisie de données cliniques permettant le suivi individuel et de la patientèle.

– L’Utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription certifié ou pour les médecins non prescripteurs (ACP) d’un module de création de compte-rendu standardisé.

L’informatisation permet de télétransmettre et d’utiliser des téléservices.

Avec les incitations, en 2009 encore plus de 32% des facturations des médecins (feuilles de soins) étaient réalisées à l’aide de feuilles de soins papier, ce qui correspondait à plus de 110 millions de feuilles sur une année.

À mon sens, un premier point de faiblesse pour réussir le virage numérique est l’absence de pénétration du Dossier Médical Partagé malgré les promesses de la CNAMTS. 1.2 millions de dossiers seulement créés en Mai 2018. Mais il est vrai qu’on nous promet une accélération aujourd’hui.

Un deuxième point de faiblesse est constitué par l’usage inégal de la transmission dématérialisée et cryptée de certaines données de santé. Cela semble progresser avec la généralisation de la boîte mail cryptée des médecins offerte par la CNAMTS. Mais il n’y a pas de corrélation entre le nombre d’adresses créées (Mssanté) et leurs utilisations effectives. Le problème actuel étant l’envoi de nombreux courriers dans des boites mails non ouvertes par les destinataires.

Le pré requis pour initier véritablement la transition numérique du secteur médical est la généralisation :

-Du dossier médical partagé (DMP) avec interopérabilité avec le dossier patient informatisé des cabinets et des établissements de soins, (notez qu’actuellement dans le secteur libéral, il n’y a pas dans les faits d’interopérabilité entre les dossiers patients des cabinets et des établissements MCO par exemple).

– de l’utilisation des messageries cryptées (MS santé, Apicrypt) pour la transmission des documents médicaux entre médecins.

– de la dématérialisation des ordonnances médicales mise à disposition directement au patient ou à la pharmacie.

En fait il faudrait une base unique de données, c’est-à-dire un dossier médical universel utilisable par tous : patients, médecins de ville et hospitaliers. À ce sujet, seules des initiatives privées semblent être prometteuses ; citons par exemple le Passcare , véritable passeport médical pouvant accompagner dans le monde entier, un patient porteur de pathologies chroniques et pouvant lui permettent une prise en charge optimale où qu’il soit dans le monde.

À innovationesante.fr, nous militons depuis longtemps pour l’idée d’une Application universelle, unique, idéale, qui devrait comprendre :

– Le dossier médical du patient. Dans ce dossier médical tel que nous le rêvons, le patient devrait pouvoir inscrire tout ce qu’il souhaite. Il devrait pouvoir y retrouver toutes les données de ses consultations avec son médecin généraliste référent, les données apportées par ses médecins spécialistes, les courriers échangés entre ces différents médecins, y compris les courriers entre l’hôpital et les médecins de ville. Tous les examens radiologiques, biologiques, anatomopathologiques…. Avec les comptes rendus, voire les commentaires et le suivi de ses prescriptions médicales, les médicaments délivrés par les pharmacies.

– Seraient intégrés à ce dossier numérique « de rêve » tous les modules nécessaires pour l’aider à gérer :

-Une intervention chirurgicale, avec un dossier « parcours de soins » adapté à chaque intervention et regroupant toutes les informations concernant le pré, le per, et le post opératoire (immédiat et au long cours).

-Une maladie chronique, avec un module diabète, cancérologie adapté, pathologies cardiovasculaires (maladie coronarienne, insuffisance cardiaque), insuffisance rénale, pathologie psychiatrique et troubles cognitifs (accessible et abordable par les aidants), dysthyroïdie, obésité morbide, le VIH……

– Mais peut-être que le plus important serait l’intégration d’un module fondamental dédié à la prévention, appareil par appareil, avec les conseils d’hygiène de vie et les conseils pour utiliser les moyens modernes d’auto surveillance. Ce module devrait être le plus ambitieux, le plus complet possible, il devrait permettre à terme de recourir le moins possible aux autres modules « thérapeutiques » qui signent trop souvent les échecs des politiques de santé ou justement la prévention est le parent pauvre.

Mais un tel outil n’existe pas.

Que peut-on faire face à cette impossibilité d’ordonner et de coordonner les données du patient ?

C’est ici que doivent intervenir les mathématiciens data-scientistes et ingénieurs… Ils doivent créer des systèmes numériques qui vont imiter ce que nous savions déjà faire par la parole directe, en remplaçant le papier, le téléphone, le sms, le mail….

À eux d’inventer de nouvelles solutions grâce aux nouvelles mathématiques et aux nouveaux ordinateurs qui se nourriront de la donnée médicale qu’il faudra, nous autres cliniciens, apprendre à ordonner. (À ce sujet le rapport Villani est très pessimiste quant aux perspectives offertes par les pouvoirs publics.

Ce sont les initiatives du privé qui vont nous apporter des solutions.

Ce qui va nous remonter le moral, c’est ce travail de fourmi entre les médecins et les ingénieurs et autres spécialistes du markéting digital qui vont faire éclore de nouvelles APPs.

L’un des meilleurs exemples de collaboration entre la recherche médicale et les nouvelles sciences fondamentales est représenté par la société Londonienne BenevolentAI.

La particularité de BenevolentAI, qu’innovationesante.fr a particulièrement souligné dans notre interview de Jérôme Pesenti du 15 novembre 2016, est de présenter deux pôles :

-BenevolentBio où travaillent les pharmacologistes.

-BenevolentTech où travaillent les mathématiciens, data scientist … Jérôme Pesenti (le mathématicien) prenant justement la direction de BenevolentTech (après avoir conduit la recherche sur l’I.A. pour le volant médical du célèbre programme Watson d’IBM, avant de rejoindre récemment Facebook comme responsable de l’I.A. !).

Les deux divisions de Benevolent travaillent non pas côte à côte mais ensemble, montrant cette singularité d’allier l’I.A. à la recherche médicale.

Cela est très emblématique de l’affirmation naissante de la synergie entre les NTIC (ici les nouvelles mathématiques, les nouveaux ordinateurs…) et le monde industriel (ici médical). Ken Mulvany le Fondateur de BenevolentAI affirme aujourd’hui « La technologie de BenevolentAI peut identifier des corrélations qu’un chercheur humain ne penserait jamais à regarder ». Les chercheurs peuvent également utiliser les systèmes de l’I.A. pour analyser une maladie. Leur permettant d’énoncer de nouvelles hypothèses auparavant impossibles, en raison de la quantité de données que l’intelligence artificielle peut traiter. BenevolentAI a ainsi des médicaments en développement ». Et d’ajouter « que lorsqu’il était PDG d’une autre société de développement de médicaments (Proximagen), il fallait 10 ans pour obtenir 15 molécules candidates à un développement ». Chez BenevolentAI, l’entreprise dispose de 24 molécules en seulement quatre ans. En 2014, BenevolentAI a vendu deux molécules contre la maladie d’Alzheimer à une société américaine pour qu’elle en assure le développement.  L’un des points techniques intéressants mis en valeur par Jérôme Pesenti est l’utilisation de l’ordinateur  Nvidia’s DGX-1 supercomputer, qui permet justement à la société de développer des logiciels d’I.A.

Alors aux médecins de s’ouvrir au NTIC. Ils seront alors créateurs ou collaborateurs dans ces nouvelles start-ups hybrides Médecins /Ingénieurs.

La médecine pourra ainsi répondre plus favorablement à l’attente de public qui souhaite une meilleure organisation et une meilleure efficacité des soins et surtout une meilleure prise en compte de la prévention.

Dans la droite ligne de cette problématique collaborative, je serai le jeudi 4 avril 2019 à Saint Etienne à l’invitation de l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Étienne. Les orateurs et le public seront constitués de médecins et d’ingénieurs, l’ambition étant de concrétiser ce rapprochement synergique.

Références :

Réf 1 Alderson L., Alderson P., Tan T. Median life span of a cohort of national institute for health

and care excellence clinical guidelines was about 60 months, Journal of Clinical

Epidemiology, 2014, 67, 1, 52-55

Réf 2 Neuman M., Goldstein J., Cirullo M., Sanford Scharwtz J. Durability of Class 1 American

College of Cardiology/American Heart Association Practice Guideline Recommendations,

JAMA, 2014, 311 (20) 2092-2100

Réf 3 Sjohania K., Sampson M., Ansari M., JI S., Douvette S., Moher D., How quickly do

systematic reviews go out of date? A survival analysis, Ann Int Med, 2007, 147, 224-33

Réf 4 : Organisme de FMC

1 – Associations ayant la FMC dans leur objet statutaire

2 – Collèges de spécialités, sociétés savantes et organismes assimilés

3 – Structures universitaires prestataires d’actions de FMC

4 – Entreprises privées prestataires d’actions de FMC

Réf 5 : chirurgiens, Anesthésistes, Réanimateurs, Gynécologues, Obstétriciens, Gastro-entérologues, Cardiologues et Radiologues interventionnels.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *