Les Drones au service de la santé !

Depuis la reine des abeilles (De Havilland DH Queen Bee) de 1935 qui faisait en fait un bruit de faux bourdon (drone in English !), ces aéronefs télécommandés sans-pilote ont bien évolué. Leur utilisation est en France sous l’autorité du code de l’aviation civile, du code des transports et de la Direction générale de l’Aviation civile, aux États-Unis de la Federal Aviation Administration et de la NASA, en Europe de l’ AESA. En Europe, les autorités nationales étant compétentes en deçà de 150 kilogrammes.
C’est vous dire d’emblée le frein à leurs utilisations dans les régions sus-mentionnées compte tenu de ces réglementations de l’usage de l’espace aérien, même si au plus près du sol (enfin au-dessus de nos têtes) il est peu fréquenté.

Pour ceux qui veulent se perdre dans la réglementation lire : ( https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/drones-usages-professionnels ). C’est peut-être en partie pour cela que les premiers usages en routine des drones dans le domaine de la santé se situent en dehors de ces zones géographiques.

Pour le moment dans l’hexagone en dehors des usages agricoles et industriels, le drone se trouve plus souvent au pied du sapin de Noël destiné à des activités ludiques, mais même dans ce cadre prière d’être en possession de toutes les autorisations…. Et de bien lire la réglementation.

Un peu d’histoire en se limitant aux usages médicaux.
Si quelques expériences ont pu être significatives lors de catastrophes naturelles comme en 2012 en Haïti pour la distribution de kits de secours, ou en 2014 en Papouasie-Nouvelle-Guinée (MSF) pour transporter des prélèvements et lutter ainsi contre la tuberculose.

Si en Inde un projet de drone-transporteur d’organe est à l’étude à Bangalore depuis 2016, c’est sur le continent Africain, au Rwanda que les choses sérieuses commencent.

La start-up Zipline applique depuis octobre 2016 en partenariat avec le gouvernement local, une solution pérenne de transport de poches de sang et de médicaments vers les hôpitaux les plus isolés ; grâce aux drones 7 000 poches de sang ont été livrées pour 4 000 vols. L’entreprise estime qu’un tiers de ces vols ont été mis en place en urgence, dans des situations où une vie était en jeu.

À l’extérieur de Kigali (capitale du Rwanda), 20% des livraisons de sang seraient ainsi assurées par les drones.
Dès 2016 près du lac Kivu, le projet de construction d’un droneport (aéroport pour drones) a été envisagé.
C’est à ma connaissance la première fois qu’une telle infrastructure est programmée. Cette station offre aux drones des installations équivalentes à ce qu’est l’aéroport à l’aviation civile. Cela montre un véritable engagement du gouvernement Rwandais pour faire de la solution drone un enjeu national de santé publique.
Ce premier droneport doit être opérationnel en 2020. Il permettra de rationnaliser et d’industrialiser le transport de produits de santé plus rapidement sensibles et à un meilleur coût que n’importe quelle autre solution, terrestre par exemple.

Parallèlement à la création de cette nouvelle infrastructure, un projet de construction de deux drones de nouvelle génération est en cours. Le drone Redline fera trois mètres d’envergure et sera capable de transporter 10 kilogrammes de matériel sur une distance de 50 kilomètres à 100 km/heure. Et le drone Blueline de six mètres d’envergure pouvant amener une charge de 100 kg sur 100 km bien plus rapidement que par les très mauvaises et dangereuses routes.

L’enjeu en termes de santé public est considérable au Rwanda et plus encore dans les vastes pays Africains où de très nombreux patients souffrent (et meurent) de l’absence, soit de produits de santé souvent nécessaires en urgence (sang, vaccin…), soit de la possibilité d’acheminer des prélèvements sanguins (maladies endémiques, crise épidémique de maladie virale par exemple…) vers les laboratoires des grandes villes. L’objectif est donc de permettre de gagner du temps pour l’acheminement de très nombreux produits dans un continent ou l’état des routes et les caractéristiques du relief rendent le transport terrestre long, couteux, et parfois dangereux !

Dans le même esprit et toujours en Afrique DHL, la GIZ (l’agence de coopération internationale allemande pour le développement) et le fabricant de drones Wingcopter ont lancé le projet « Deliver Future ». L’idée en cours d’expérimentation est de désenclaver une ile isolée au sein du lac Victoria.
Le drone parcourt les 60 km qui séparent le continent de l’île en 40 minutes en moyenne. Il achemine des produits sensibles sur l’île ; il peut récupérer par exemple des prélèvements sanguins pour les acheminer sur le continent. Pour les concepteurs, au-delà de cette expérimentation, l’utilisation du drone pourrait améliorer la chaîne logistique dans le domaine de la santé publique, contribuer à la prévention des crises (épidémies virales de type Ébola…) en réagissant plus rapidement en permettant ainsi de limiter une propagation par exemple.
En raison des besoins spécifiques dans ces pays ou les problèmes de santé publique sont dramatiquement différents des nôtres, mais aussi peut être en raison de réglementations moins draconiennes et d’un environnement géographique plus favorable, l’Afrique est un excellent terrain de mise au point de ces nouvelles solutions. L’usage des drones dans le domaine médical s’organise plus rapidement que partout ailleurs.

Mais dans un cadre plus commercial les bénéfices sont plutôt attendus dans les pays plus riches ou le drone pourrait s’intégrer dans l’économie locale.
Les habituels leaders de l’utilisation des NTIC sont très actifs en ce domaine.
En Australie, Google a initié en 2012 et finalement lancé en 2014, le projet wing (Google X) de transport par drones de marchandises. Google avait communiqué sur le rôle que ces drones pourraient jouer dans l’assistance aux populations. Suite à une catastrophe naturelle, ils pourraient en effet soutenir les pouvoirs publics en apportant des médicaments, des vivres ou des équipements de première nécessité. Mais dans le contexte réglementaire Australien, nous sommes loin de l’installation de droneport comme au Rwanda. Ces 18 derniers mois, Google a finalisé dans la banlieue de Canberra les premiers tests en conditions réelles, avec la chaîne Guzman Y Gomez et le détaillant pharmaceutique Chemist Warehouse. 3 000 colis ont été livrés. Google a ainsi obtenu en ce début 2019 les autorisations dans un cadre très limité et contraignant. Aucun résultat économiquement significatif n’est donc réellement en vue…

De son côté Amazon annonçait en 2013 avec les habituelles précautions d’usage que l’on connait de la part des GAFA (c’est à dire du marketing pour faire le buzz, c’est bon pour le business immédiat…). Donc Jeff Bezos annonçait en décembre 2013 que les livraisons de colis allaient « bientôt » s’effectuer par drones aux US. Près de 6 années plus tard mais de façon prévisible pour des problèmes réglementaires (Federal Aviation Administration …) mais aussi techniques, rien de concret à l’horizon. Pour certains expert, il faudra encore au moins 10 ans avant que l’évolution de la réglementation puisse permette la réalisation aux US du fantasme de 2013 de Jeff Bezos. En attendant, les tests de livraisons restent donc très limités et sur des distances très courtes, donc sans intérêt pratique à court termes. Mais par ailleurs je ne trouve pas de la part d’Amazon de communication sur un quelconque impact dans le domaine de la santé mais plutôt dans celui de l’épicerie ! ( Infographie Les Echos ; Dans la Jungle d’Amazon )

Pour revenir à des projets plus en rapport avec nos préoccupations, une étude menée en Suède indique que des drones équipés d’un défibrillateur peuvent arriver quatre fois plus vite qu’une ambulance auprès d’une personne victime d’un arrêt cardiaque. Selon la Fédération Française de Cardiologie, 50.000 personnes meurent prématurément d’ arrêt cardiaque chaque année en France, faute d’une prise en charge suffisamment rapide. L’étude suédoise a démontrée de très bons résultats lors d’une expérimentation depuis une caserne de pompiers installée dans une zone rurale près de Stockholm ; le drone s’est montré quatre fois plus rapide que l’ambulance. Ce gain de temps pourrait permettre de sauver plusieurs centaines de vies chaque année en Suède, estiment les chercheurs. Il y a des expérimentations similaires aux Pays Bas.

Je ne peux que penser à nos amis Français qui ont développé des APP pour porter assistance aux personnes victimes d’arrêt cardiaque hors des structures de soins. L’APP «SAUV Life » du Dr Lionel Lamhaut destinée surtout aux SAMU et l’APP Staying Alive surtout utilisée par les pompiers. Ces deux APP ne pourrait-elle pas en plus de leurs spécificités déjà remarquables, expérimenter conjointement le défibrillateur/drone. Cela serait d’ailleurs un bon sujet de collaboration SAMU/ Pompier… Avis aux startuppers ! La formation aux gestes de premiers secours, l’utilisation des APP et l’adjonction du système de défibrillateur /drone pourraient faire exploser les chances de survie des victimes d’arrêt cardiaque, qui est inférieur à 5% avec les secours classiques sans APP (ni drones).

Restons en Hexagone avec le consortium « Drones for life (DFL)» regroupant le CHU de Bordeaux, Abbott, BeTomorrow, Sysveo, l’Agence régionale de santé Aquitaine, DSAC-SO Aquitaine, et AETOS qui travaille sur la solution du drone en milieu urbain expérimentant le transport de sang et d’organes.
Le CHU de Bordeaux a reçu l’autorisation de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) pour tester ce projet. L’intérêt est de relier trois sites du CHU et acheminer 2.000 tubes chaque jour sur une distance maximale de 10 km, dans le contexte d’une circulation automobile parfois difficile à Bordeaux. Encore une fois la solution drone semble plus rapide moins coûteuse, et j’aimerai le souligner, avec probablement un impact carbone bien moindre. L’expérimentation commence donc en ce début d’année 2019. Au final si tout va bien, une « tolérance » de l’utilisation d’un espace aérien bien définit et très restreint pourrait être obtenu… Un projet en outre qui devra être accepté par les élus, la population… on est loin de l’enthousiasme Rwandais !
Revenons aux US avec UPS qui fort de son expérience justement Africaine (Zipline au Rwanda) veut livrer des échantillons médicaux par drone aux Etats-Unis. Avec une expérimentation pour l’heure limitée à un petit secteur de la Caroline du Nord, la société communique que la logistique des soins de santé et des sciences de la vie était un segment prioritaire. Le programme sera supervisé par la FAA (Federal Aviation Administration) et par le North Carolina Department of Transportation. Donc encore une fois l’évolution du projet dépendra la possibilité d’obtenir les autorisations ; l’espace aérien US est plus difficile à conquérir que le ciel Africain et il n’y a ici pas encore de développement réel !
Retour en Europe pour un projet similaire, ce qui montre qu’il y a un intérêt, au moins théorique pour le moment, à intégrer le drone dans nos cités autant que dans les plaines et montagnes africaines. C’est par exemple un projet belge pour fluidifier la liaison labos-hôpitaux et transporter des prélèvements de sang et d’urine ainsi que des préparations pharmaceutiques. Des premiers vols sont prévus en 2020, un très sophistiqué centre de commande a été créé : le premier droneport Européen après le pionnier Africain ? Cinq entreprises sont partenaires : Belgocontrol (nouvellement Skeyes), la SABCA, Unifly, NSX et Helicus. Chaque entreprise se concentrera sur une partie spécifique de la solution globale.
Le projet baptisé MEDRONA obtiendra un financement du gouvernement. Des vols d’essais inter-hospitaliers auront lieu au cours de la deuxième moitié de 2019 dans l’espace aérien urbain d’Anvers. Le but étant toujours le même : démontrer l’intérêt des drones qui utilisent la capacité sous-utilisée de l’espace aérien Very Low Level (VLL) pour le transport de produits médicaux, de manière fiable, écologique et efficace. La volonté clairement affichée à terme est l’organisation d’une solution durable de transport inter hospitalier conforme aux réglementations en matière de gestion du trafic aérien et des soins de santé avec une amélioration des services existants et cette possibilité d’éviter les encombrements terrestres.
Repartons dans une région moins favorisée avec un projet qui donne tout son sens à ces nouvelles technologies qui doivent favoriser des projets humanitaires : À Madagascar des drones sont sur le point d’être utilisés dans la lutte contre la tuberculose. Il s’agit d’un transport d’échantillons cliniques et de médicaments antituberculeux entre les régions enclavées et les centres de diagnostic et de traitement dans le cadre du programme national de lutte contre la tuberculose dans le district d’Ifanadiana. Les applications pourront être étendues à la surveillance épidémiologique, à la livraison des matériels essentiels et à la gestion des urgences épidémiques telle que la peste. Il s’agit d’une collaboration entre l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) le Ministère de la Santé Publique, l’UNICEF, l’OMS et d’autres organisations travaillant dans le domaine de la santé et l’Université Stony Brook aux États-Unis.

Le continent sud-américain n’est pas en reste avec un projet d’utiliser des drones entre la ville et les zones rurales. La problématique est le mauvais état des routes et le relief et donc des durées de transport très importantes. Le but est de relier les hôpitaux de Cali à certains centres de santé situés par exemple dans les montagnes à l’ouest de la ville à 7 km. Avec un véhicule, il faut deux heures pour effectuer ce trajet. Un drone met 13 ou 14 minutes pour parcourir cette distance, le gain de temps est énorme. Utiliser des drones pour acheminer des échantillons vers les hôpitaux de Cali, pour expédier les résultats vers les zones rurales ou encore pour transporter des médicaments devrait permettre de gagner du temps et de l’argent.
Et je finirais ce panorama par l’Asie et la Chine ou les BAT (Baidu, Tencent et Alibaba), l’équivalent des américains GAFA investissent massivement dans les nouvelles technologies en général et dans les drones en particulier avec dans ce domaine une volonté d’une utilisation bientôt industrielle. Je n’ai pas noté dans les médias l’impression de freins réglementaires comme aux US et en Europe. L’idée des BAT est d’investir de façon colossale (de façon Chinoise !). Dans les nouvelles technologies pour réduire la fracture entre la Chine des villes et la Chine des campagnes, le drone pourrait être un symbole de cette évolution industrielle par ailleurs écologique… [Article]

Dans le domaine médical à noter aux US et en Inde, notamment des projets de transport d’organe à l’état expérimental ou même en fait pré expérimental.

En conclusion, les drones sont déjà largement utilisés dans les secteurs de la défense, du cinéma des services, de l’agriculture, pour la surveillance et la sécurité, le sauvetage en mer… Dans le domaine de la santé, ils sont bel et bien des nouveaux venus à prendre en compte, reste à savoir si les réglementations dans les pays modernes suivront et accepteront rapidement ces nouveaux usages. D’ores et déjà en Afrique ou les besoins sont criants, la législation plus adaptable et la géographie moins contraignante, les usages s’organisent et s’industrialisent peut-être pour un retour en Europe et aux US à terme. Pour l’Asie (Inde, Chine…) cela frémi beaucoup aussi.

Références :
Rémy Teston

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