Place de la santé connectée dans le quotidien d’un Médecin Généraliste dans le désert médical de Decazeville.

Billet rédigé par Monsieur le Docteur Etienne Hoff, Médecin Généraliste.

Innovationesante.fr : Le Docteur Etienne Hoff, Médecin généraliste, décrit son parcours. Reconnu pour ses qualités de praticien et ses qualités humaines, c’est un professionnel engagé (syndicalisme, enseignant…).

Toujours en première ligne pour faire évoluer sa profession, il a choisi de consacrer la dernière ligne droite (elle est encore longue) de son parcours professionnel à un désert médical comme salarié dans une maison de soins du Nord Aveyron, distinct mais voisin de celui décrit dans les précédents billets consacrés aux zones sous dotés en Médecin : relire

« Les déserts médicaux : le Nord Aveyron, le canton de Lot et Truyère témoignage du Dr Gilles Verrez » :   et

« La télémédecine, et les déserts médicaux : du nouveau depuis notre dernière mise à jour »

Décidément ce département est  » riche  » en zones sous dotées !

Le terme de désert médical est sur toutes les bouches, c’est le sujet à la mode, et toutes les solutions ont prétendument été apportées par les décideurs.

Mais Innovationesanté.fr s’évertue à le répéter, il y a beaucoup de fantasmes de la part des donneurs de solutions.

Pour le canton Lot et Truyère, n’en déplaise aux tutelles, le problème aujourd’hui est représenté par la pénurie de Médecins.

Dans le canton de Decazeville, les médecins sont encore pour l’instant en nombre, ils sont notamment regroupés dans les structures que sont d’une part  « la maison de santé Decazeville« , il s’agit d’une structure privée ou les médecins exerce en libéral, et d’autre part le Centre Médical Filieris ou exerce le Dr Hoff ou les médecins sont salariés.

Et pour le Dr Hoff la numérisation du centre médical est encore embryonnaire, le seul « progrès » numérique est représenté par l’utilisation d’Apicrypt pour la réception des résultats de laboratoire !

(Apicrypt a été créé il y a plus de 20 ans par les médecins libéraux….). Notre médecin se bat également « avec sa hiérarchie pour plus d’informatisation ».

Alors pas de DMP, MSSanté, Télémedecine à l’horizon, pas de solutions connectées dans les tiroirs (APP, Objets …)

La conclusion est que pour le moment dans ce canton aussi, l’urgence va être la pénurie de Femme et d’Homme comme pour le canton de « Lot et Truyère », la numérisation n’apportera ces effets que dans quelques années.

La période charnière n’est pas prise en compte, il faudra bricoler et colmater, sans penser aux étudiants de première année de médecine qui sont refoulés par un Numérus Clausus inadapté.

Je laisse la parole au Dr Hoff…

Voilà son histoire :

 » Première installation en 1979 dans le Bas-Rhin, à Monswiller seul puis avec un associé à partir de 1985.

Militant syndical dès 1982 avec responsabilité au sein du CA de la CSMF 67.

Création d’un GEF de la Région de SAVERNE (groupement d’exercice fonctionnel) qui réunissait tous les professionnels de la santé, libéraux pour contrer les velléités d’implantation de Centres de Santé Intégrés par la loi RALITE.

Maitre de Stage, Généraliste Enseignant dès la création de ces structures, Conseiller Ordinal pendant deux mandats dans le Bas Rhin.

J’ai quitté tous mes mandats à l’âge de 5O ans pour laisser la place aux jeunes (ayant toujours été contre une forme de gérontocratie de nos institutions).

Reprise d’un cabinet à Cagnes sur Mer en 2005 en association après avoir trouvé un successeur à Monswiller.

Suite à un déménagement pour raisons personnelles de la Cote d’Azur dans l’AVEYRON en 2013, j’ai commencé à entrevoir l’arrivée de ma retraite en 2015.

Il n’était pas question d’arrêter mon activité médicale et en prospectant dans l’Aveyron j’avais trois solutions : soit des remplacements, soit une activité libérale dans une Maison de Santé à mi-temps à Decazeville, soit une opportunité de dernière minute avant l’échéance de ma retraite en tant que médecin salarié des MINES.

Après mûre réflexion et étant donné que l’on me proposait une activité à mi-temps dans mon village Firmi et à Decazeville, j’ai opté pour le salariat.

Le tableau de la situation :

Dans mon village en 2014 il y avait 3 médecins en exercice, en 2015 un seul à temps réduit, retraité…A Decazeville et dans les environs un médecin partait à la retraite fin 2015.

Actuellement nous sommes 12 médecins généralistes dont 3 en mi ou quart temps et 2 en exercice particulier pour une population de 15 000 habitants.

La poursuite d’une activité libérale à mi-temps comprenait à nouveau une somme de charges : URSSAF, CARMF, Assurances, comptable etc… tant de paperasses qui m’ont toujours rebutées.

On me propose un exercice de la médecine avec secrétariat, pas de téléphone…

Faire de la médecine générale de campagne même avec des visites à domicile sans contraintes de charges, rentrer le soir sans avoir des comptes et du courrier à faire me paraissait parfaitement attrayant pour un retraité.

Cumul Emploi-Retraite avec en plus des congés payés et même des RTT (j’ai mis du temps à comprendre ce fonctionnement…).

De plus nous avons un mode de rémunération en fonction de l’importance de l’activité…

Pourquoi et comment la médecine salariée ?

Tout d’abord un point sur l’employeur FILIERIS :

Créé par le régime minier, le réseau Filieris est principalement implanté dans les anciens bassins miniers. Ses structures sont gérées par un organisme assurant une mission de service public : la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité sociale dans les Mines, gestionnaire du régime spécial de Sécurité sociale des mines.Aujourd’hui, son savoir-faire et son expertise, issus d’une longue histoire, sont proposés au plus grand nombre.

En savoir plus sur l’organisation de Filieris et le régime de protection sociale des mines.

Je suis en association avec un confrère généraliste spécialisé en angiologie et en échographie qui ne fait de la médecine générale qu’en quart temps. Nous avons pu recruter un confrère, après plus d’un an d’offre de poste et c’est un confrère italien qui viendra collaborer à plein temps avec nous.

Le centre de soins comprend une équipe d’infirmières, d’aide soignantes et d’une assistante sociale le tout géré par une directrice et quatre secrétaires.

Ma manière de travailler n’a pas changé par rapport à mon exercice en libéral. Les contraintes administratives de la CPAM, des ARS de la HAS et autres empoisonnent de la même façon mon exercice quotidien :

– Limitation des prescriptions ne relevant que des spécialistes alors que les neurologues, pneumologues sont accessibles à 30-40 km pour les plus proches avec des délais d’attente de 3 à 6 mois (Rivotril, aérosols …etc)

– L’imposition d’ordonnances manuscrits pour les somnifères alors que l’on nous demande d’utiliser l’informatique

– Idem pour les mentions non substituables alors que si les génériques contenaient la même dose de produit actif cela nous simplifierait la vie pour prescrire les génériques (pas possible à cause des normes européennes…merci)

– Des certificats qui passent de 4 à 8 pages (MDPH)

– Les ROSP* …

Pour les Centres de Santé, un Accord National a été passé avec la CNAM moyennant finances, à savoir que si on fait des réunions avec les infirmières, si on fait des Réunions d’Éducation Sanitaire, des campagnes de vaccination et autres préventions, des remplissages de formulaires de type Sophia, les subsides tombent.

Technique pour diminuer le remboursement de soins ? Car pendant qu’on s’occupe de prévention et tutti quanti, on ne fait ni consultation ni visites.

De toute façon cela fait double emploi avec la prévention que nous faisons tous les jours tout au long de nos consultations. Mais voilà, ce n’est pas quantifié, pas colligé donc inexploitable par les fonctionnaires de la CNAM, ARS etc…

Actuellement je pense que, vu la démographie médicale, il faut avant tout donner la priorité à l’accès aux soins et que les directives administratives d’un système de soins en déliquescence doivent passer au second plan.

Il ne faut pas oublier que la rémunération sur objectifs permet aux politiciens de nous faire croire à une valorisation de notre pratique alors que les honoraires des consultations sont les plus bas d’EUROPE ;

Concernant la démographie médicale, elle ne s’arrangera pas dans les années qui viennent avec les départs à la retraite des médecins en exercice, la non attractivité de la profession pour les jeunes confrères avec des honoraires désuets, des contraintes professionnelles accablantes. Les charges des médecins retraités qui aimeraient poursuivre leur activité libérale sont aberrantes et découragent les meilleures volontés. « 

Innovationesante.fr : Merci à mon ami Etienne pour cette restitution de toute une carrière.

L’homme je le connais bien est toujours vaillant et volontaire mais la chute n’est pas très optimiste, il n’est pas très aidé sur le plan nouvelles technologies, même s’il souligne que comme salarié il n’a plus à gérer «les charges».

Je tiens à rajouter comme je l’avais déjà indiqué dans les billets concernant l’autre désert médical très proche de Decazeville qu’il n’y a pas d’autre solution immédiate dans les déserts médicaux qu’Humaine. Encore une fois, il y a une pénurie de Médecin.

Certes la télémédecine, la délégation des taches… et les mesures récemment prises par les pouvoirs publiques** permettront d’améliorer la situation, mais pas tout de suite.

Et il y a urgence, nous l’avons déjà dit pour Entraygues où nous sommes proche de la catastrophe.

Même si j’ai l’impression (peut être fausse) que la situation est moins tendue à Decazeville, il y a une exaspération des Médecins :

Voir l’appel de détresse des médecins de la maison de santé Decazeville, relayé par la presse Locale .

Que répondez-vous mesdames et Messieurs les responsables politiques ?

Références :

Pour en savoir plus sur Filieris : un nouveau entre de santé à Montceau les mines 

*La rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) repose sur le suivi d’indicateurs couvrant l’organisation du cabinet et la qualité de la pratique

**Mesure du plan gouvernemental anti déserts médicaux

Création de 300 postes de médecins exerçant dans le cadre de la télémédecine et qui vont se partager entre la ville et l’hôpital, des praticiens hospitaliers pourraient ainsi exercer une journée par semaine dans une maison de santé.

Multiplier les stages des étudiants dans les cabinets de médecine libérale sans faire évoluer le numérus clausus afin d’attirer les jeunes médecins dans les déserts médicaux.

Multiplication par deux les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) pour les porter à 2000 en 2020 avec un investissement de 400 millions d’Euros.

Essayer de retenir les médecins, jeunes retraités, avec des incitations financières.

Déléguer un certain nombre de tâches médicales aux infirmiers libéraux.

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