Réflexion sur la transformation de la relation médecin-patient depuis l’apparition d’internet.

Internet n’est pas la cause première de la transformation de la relation entre le Patient et son Médecin. Des mutations étaient déjà apparues au début des années 80. Le patient délesté de la tutelle de son médecin avait déjà gagné son autonomie, symboliquement gravé dans le marbre de la loi Kouchner. Aujourd’hui, il est donc déjà émancipé, et peut naturellement s’approprier les nouvelles technologies de l’information et la communication, dont le succès est d’ailleurs en grande partie de son faite. Voici dans ce billet, un très bref résumé de l’évolution de cette relation dont beaucoup de médecins n’ont toujours pas accepté la disparition du sacro-saint « colloque singulier ».

Au début des années 50, la médecine était triomphante ayant (presque) éradiquée les maladies infectieuses notamment grâce aux antibiotiques, symbole de sa toute-puissance. Le Médecin de famille est paternaliste et joue un rôle social (et politique) important. Le patient est passif, obéissant, mais heureux car il se sent bien soigné.
Dans les années 80, le transfert des connaissances, par l’intermédiaire de l’éducation, des médias « traditionnels », et des tous nouveaux modes de communication comme les premiers forums sur minitel par exemple, remet en cause l’hégémonie du Médecin, le soin est négocié après consensus.
Tout s’accélère dans les années 2000, ou le modèle est appelé collaboratif (1), recentré sur le patient, le Médecin devient éducateur, il responsabilise le patient avec lequel il partage les décisions. La loi même, (Kouchner, 4 Mars 2002), le précise, en insistant sur les notions d’information et de consentement libre et éclairé de la personne.
Internet intervient alors, mais le patient a déjà gagné son indépendance et se prend en charge.
Si au début des années 2000 le public ne consomme pas encore beaucoup internet, tout s’accélère à partir des années 2010.
Par rapport au premier forum minitel initié par le Docteur Loïc Etienne en 1987, il y a une explosion exponentielle des sources d’information médicale, de Wikipédia en passant par les sites de l’industrie pharmaceutique, des institutions, des sites et blogs des médecins, en citant également le site de plus en plus informatif de l’assurance maladie : Ameli.fr
Cette explosion de l’information disponible pour le patient va tout de même de nouveau faire évoluer la relation avec le Médecin, ce dernier devra collaborer avec le patient qui restituera au cours de la consultation une partie de l’information recueillie ici ou là, et nous verrons qu’il devra en tenir compte.
La deuxième composante responsable de la révolution en marche, est la prolifération des outils (objets connectés, algorithme, système d’intelligence artificielle (Médecin virtuel), qui vivent et prospèrent grâce à internet et au cloud.

Comment évolue la relation Patient Médecin dans ce contexte, et plus précisément comment est-elle vécue par le public en général, les patients en particulier et enfin les Médecins ?
Pour répondre à cette question nous avons lu pour vous des méta-analyses (1) des rapports des services de l’état (2), de l’ordre des médecins et autres sondages d’opinion (3 & 4), des thèses de médecine (5 & 6).
Les conclusions de toutes ces références sont très concordantes et facilitent la rédaction du résumé qui suit.
Les médecins, parfois méfiants du nouveau savoir de leur patient, sont toutefois globalement convaincus de l’utilité de l’e-santé, mais pour être à l’aise dans ce nouveau mode d’exercice, ils demandent des garanties juridiques, des outils, une formation, une amélioration de la fluidité de l’information entre les acteurs de la santé, un nouveau mode de rémunération…

La population elle aussi, est plutôt favorable à l’e-santé, elle demande des sites d’information fiable, un dossier médical personnel unique, une information sur les applications et les dispositifs médicaux communicants (objets connectés). Mais, toutefois, le public est d’ailleurs encore relativement peu nombreux à utiliser ces nouvelles technologies, parfois, ils ne sont pas convaincus de leurs utilités et ont peur d’une utilisation inadéquate des données collectées.
La demande clairement exprimé du public est de pouvoir prendre directement ses rendez-vous par internet, récupérer ses comptes rendu d’hospitalisation de biologie de radiologie et autres… et d’échanger par email avec ses correspondants médecins.
La population plébiscite les outils d’e-santé permettant le maintien à domicile des personnes âgées, et est intéressée par la télémédecine et la télésurveillance.
Les patients consommant le plus internet font même davantage confiance à leur médecin qui reste leur première source d’information, car elle est jugée la plus fiable. L’information recueillie sur le net vient en complément et ne remet pas en cause la crédibilité du Médecin. Même si les dires du Médecin peuvent être plus souvent argumentés par le patient qui peut donner son avis sur le diagnostic, les examens complémentaires…
La relation Médecin Patient est même davantage améliorée pour les patients en mauvaise santé et qui navigue sur le net. Il s’informe plus et collabore plus avec leur médecin.
Il n’y a que dans les circonstances ou le médecin ne prend pas en compte ou réagit négativement aux nouvelles références de son patient que ce dernier peut s’éloigner de lui, en demandant par exemple un deuxième avis, et changer même de Médecin référent.
L’avenir est donc prometteur, et les nouvelles organisations liées plus ou moins directement à la santé (Living lab, Télémédecine….) permettront de sécuriser le patient, son médecin référent sera mieux informé (dossier médical électronique…), et mieux connecté.
Mais il ne faut pas occulter l’inégalité du public face à cette évolution, beaucoup de personnes ne se connectent pas, ou se connectent moins longtemps, surtout si leur niveau d’étude est moindre, ils utilisent moins les sites de vulgarisation et les forums de discussion.
Ces personnes intégreront plus difficilement cette évolution.
Cette aptitude à intégrer ces nouveaux outils par le public s’appelle la littératie, et notre niveau de littératie  peut être très variable. Notre système de soins doit en tenir compte.
Mais la puissance de ces nouvelles technologies est justement de pouvoir s’adapter à chaque personnalité de patients. Il y a par exemple des systèmes (sérious games) adaptés aux personnes ayant des faiblesses cognitives (Maladie d’Alzheimer).
Certes la profession de médecins généralistes ou spécialistes, est en cours imminent de mutation, cela est la conséquence de l’évolution des modes de communication de notre société.
Mais sur ces nouvelles bases, le couple médecin /Patient à encore de beaux jours devant lui, et il sera bien plus efficace que jamais !

 

Références :

(1) Méta analyse

Référence papier
Christine Thoër, « Internet : un facteur de transformation de la relation médecin-patient ? », Communiquer, 10 | 2013, 1-24.
Référence électronique
Christine Thoër, « Internet : un facteur de transformation de la relation médecin-patient ? », Communiquer [En ligne], 10 | 2013, mis en ligne le 01 février 2015, consulté le 12 juin 2016.

(2) Rapport Pipame 2016 Etudes économiques Prospective
E-santé: Faire émerger l’offre Française en répondant aux besoins présents et futurs des acteurs de santé

(3) Ipsos Public Affairs
Les conséquences des usages d’internet sur les relations patients-médecins
Avril 2010
Sondage effectué pour le Conseil National de L’ordre des médecins

(4) Janvier 2015 Santé connectée
De la E-Santé à la santé connectée
Le livre blanc du Conseil National de L’ordre des Médecins

(5) Quelle est l’influence d’internet sur la relation médecin-patient en médecine générale ?
Clémence Silvestri
To cite this version
Clémence Silvestri. Quelle est l’influence d’internet sur la relation médecin-patient en médecine générale? Humen health and pathology. 2015.<dumas-01120948>
HAL Id: dumas-01120948 Submitted on 27 Feb 2015

5 commentaires Ajoutez les votres
  1. Bonjour,
    Article très intéressant mais j’aimerais des éclaircissements sur quelques points:
    Au début de l’article, vous dites que le colloque singulier a disparu mais en fin d’article vous dites que le couple médecin/patient a de beaux jours devant lui. N’est-ce pas contradictoire ?
    Aussi vous dites que beaucoup de médecins n’ont pas encore accepter cette disparition mais qu’ils sont globalement convaincus du nouveau savoir du patient. Ne devrait-il donc pas être réaliste quant à l’apparition d’un nouveau modèle relationnel ? Et s’ils y trouvent des avantages, ne devraient-ils pas accepter ce nouveau modèle?
    Enfin j’aimerais pouvoir connaître certaines de vos références.
    Merci beaucoup ! 🙂

    1. Merci beaucoup Gaël pour ces remarques.
      Voilà les réponses:
      le couple médecin- patient existe plus que jamais, il est enrichi par le savoir du patient et par l’empowerment ( son autonomisation) . Mais le colloque n’est plus singulier, car des tiers, les médias et internet se sont interposés . Mais il y a toujours l’ interrogatoire , l’examen clinique, la discussion autour du diagnostic et des traitements…
      Pour votre deuxième remarque. Il y a peut-être un problème de génération avec des difficultés d ‘adaptation d’un médecin senior aux nouvelles technologies, et justement à la notion d’autonomisation du patient.
      Pour les références: elles avaient disparu, et nous les avons réintégrées en fin de texte !
      A très bientôt

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